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PEINTURE A L'ENCAUSTE

par Lucio et Giuseppe Attinelli

Née sous le signe du feu, elle a résisré à la fournaise de Pompéi et à la morsure des siècles. Savants et peintres se penchent sur son secret.

A Denise, Jean Lelong avec une fraternelle tendresse en écho à la joie de leurs coeurs.    Helen 16 Janvier 1956

Des siècles séparent ces deux portraits. Celui de gauche représente sans doute une femme de la famille de Pollino Sôter, Archonte de Thèbes (milieu du 2ième siècle après j.C.). Il a été exécuté selon la technique du cestre sur bois - du latin cestrum, fer chauffé au feu. Il a été découvert dans un enveloppement de momie à Fayoum, en Égypte. Celui de droite " Bacchante " au cestre sur marbre est l'œuvre d'une Française Helen Mai qui semble avoir retrouvé le secret de l'encauste antique. La fresque (plus bas) du 1er siècle avant j.C. également une œuvre à l'encauste représente des " Femmes jouant avec une chèvre " et provient de fouilles effectuées à Pompéi. Elle se trouve au Musée du Louvre, à Paris, à qui François 1er, désormais Roi de Naples en a fait don.

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Fresque... Détrempe... Peinture à l'huile...

Voila des termes dont chacun de nous, si profane soit-il en matière de peinture, a déja entendu parler.

Presque personne ne connait l'encauste, qui pourtant doit être considérée comme l'ancètre de tous les modes de peinture appréciés, aujourd'hui, du grand public.

Les origines de cette peinture envoutante et mystérieuse, remontent assez loin dans le temps. Homère nous a chanté " Les bateaux aux joues rouges ", décorés à la poix brulée, qui sillonnent la mer, après avoir invoqué la faveur des dieux capricieux de l'Hellade. Plus tard, Ovide parlera de " la poupe à la mer des dieux célestes, peinte de couleurs brulées ".

L'encauste, du grec en Kauston (brulé) est née sous le signe du feu car, dans cette technique, le peintre ne se sert pas d'un pinceau, mais d'un fer chauffé au feu (cestrum) à l'aide duquel il applique une sorte de cire colorée (gluten) qu'il fixe sur le support en la brûlant.

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Femmes jouant avec une chèvre

 

Bouleversante vitalité d'expression

Ce procédé (inustion) donne d'étonnants résultats : il confère d'abord un éclat incomparable aux couleurs, ainsi qu'un surprenant relief au sujet ; de plus il fixe à jamais la peinture et la rend inaltérable.

Les splendides peintures encauste, retrouvées à Pompéi, ont résisté vaillamment à la terrible coulée de lave qui, telle un fleuve de feu, submergea la ville.

De même, dans les fouilles effectuées dans la métropole gréco-romaine de Hawara, près de la pyramide de AMÉNOPHIS III, on trouva entre autres, des portraits (encauste sur bois) dont la bouleversante vitalité d'expression et la parfaite conservation sont le témoignage d'une résistance aux injures du temps, telle que nulle autre peinture n'a jamais égalée.

C'est justement cette résistance qui a incité maints savants et archéologues à rechercher le secret du mystérieux procédé qui a fait de ces peintures des messages éternels.

Des échantillons prélevés à Pompéi ont été récemment analysés, selon des procédés chimiques, par des savants italiens, mais cet examen n'a pas permis de retrouver la formule antique.

Par ailleurs, les recherches archéologiques ont été rendues plus difficiles à cause des destructions opérées par des vandales. A ce sujet, on raconte qu'en Égypte, en1887, toute une nécropole avait été mise au pillage par des Bédouins qui cherchaient du sel à la limite du désert. Ces vandales auraient tout détruit et brûlé, sauf certains portraits qu'ils trouvèrent dans des enveloppes de momies et qui, selon les coutumes de l'ancienne Égypte gréco-romaine, représentaient l'effigie du défunt. Ces portraits vendus par la suite à des trafiquants grecs, furent enfin achetés par l'antiquaire viennois Graf.

Selon une lettre du docteur Fouquet, historien français, qui s'était rendu sur les lieux, le sol était jonché de cadavres momifiés. A la tête de chaque momie était une planchette sur laquelle était gravés le nom, la qualité du défunt et le lieu de naissance. Sur les parois de ce tombeau, il y avait nombre de portraits peints sur bois (à l'encauste) et dont la plupart étaient en état de parfaite conservation.

Les encaustes retrouvées à Pompéi, à Ostie, à Herculanum, à Rome et en Égypte, et dont l'éclat et la vivacité des couleurs n'ont pas été ternis par le temps, témoignent également de la splendeur de cette peinture diabolique qui garde obstinément, aujourd'hui encore, son secret.

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Ces trois peintures sont l'œuvre d'Helen MAI qui a reproduit des fragments de la tapisserie de Bayeux sur pierre, et a exécuté ce saisissant Scapin (photo du haut) sur bois d'Okoumé

La vogue de l'huile fait oublier la cire

Comment expliquer la décadence de cette peinture ? Les grands maitres de l'antiquité, pourtant, ont utilisé l'encauste, parmi eux Lysippe, Polygnote, Phamphile - Maitre d'Appelle, Pausias, Nicias. Grace à eux, cette peinture atteint la perfection en Grèce et est accueillie avec enthousiasme dans la Rome impériale ; plus tard, avec le triomphe de l'Eglise, elle s'affirme à Constantinople. Eusèbe, notamment, nous parle d'un grand tableau encauste qui représente Constantin précipitant dans les flots le dragon, symbole des ennemis de l'Eglise...

Mais, après des siècles de splendeur, on assiste au déclin de cet art pictural. Le secret même de la cire se perd et tombe dans l'oubli. L'encauste, peinture d'initiés, n'a plus d'adeptes; il n'y a plus d'écoles qui puissent perpétuer cer art, trop difficile à exécuter peut-être.

Parallèlement, on assiste à l'affirmation et au triomphe de nouveaux modes de peinture, d'exécution plus aisée; la détrempe, la fresque, et, plus tard, la grande vogue de la peinture à l'huile. Pendant des siècles la prestigieuse peinture est abandonnée.

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Le message a été recueilli

Vers 1755, un timide réveil s'amorce : l'Académie des Inscriptions de Paris ouvre un concours pour retrouver le secret de l'encauste. Les efforts des peintres Caylus et Bachelier ne son pas couronnés de succès. Ils ont toutefois le mérite d'avoir ranimé l'intéret pour cette peinture injustement oubliée.

Au Xe siècle, le peintre Delacroix et ses élèves expérimentent des applications de cire, associée à des essences et huiles volatiles, mais sans l'intervention du feu. Le résultat est malgré tout remarquable, comme le montre, à l'Assemblée Nationale de Paris; " Attila ramenant la barbarie sur l'Italie ravagée ".

En 1887, à la suite des découvertes faites en Égypte, des peintres et des savants s'adonnent à des recherches sur la foi d'ouvrages grecs et latins traitant de l'encauste. Malheureusement, le résultat de leurs travaux est loin d'être positif étant donné la rareté des témoignages autres que poétiques.

Il est à remarquer, à ce propos, que tous les poètes classiques ont chanté la beauté de cette peinture, mais ils ont négligé de nous donner de plus amples détails d'ordre pratique. Néanmoins les chercheurs ne se sont pas découragés pour autant. En Italie deux peintres contemporains, Palomino et Scheffer, s'efforcent à leur tour de redécouvrir la méthode encauste. De même Priviati, Viglioni et Donner écrivent quelques essais sur la peinture à la cire ; les duex derniers s'éloignant de la question, nous parlent plutôt de fresque cirées, ce qui ne peut pas être considéré comme de l'encauste pure.

Finalement, de nos jours, un peintre original, Henri Cros, à la suite d'une sérieuse étude sur cette peinture classique, réalise quelques œuvres de chevalet, assez sobres, lesquelles, bien que n'ayant pas la vivacité des couleurs à l'encauste, sont toutefois assez près de celles-ci. Malheureusement la mort a interrompu ses recherches et aucun élève, à notre connaissance, ne les à poursuivies.

Aujourd'hui, c'est une Française Helen Mai, qui s'est imposée la lourde charge de reprendre et de poursuivre ce " travail de Romain ". Elle a recueilli le message qui, à travers le temps, lui a été adressé. Elle n'a pas craint les difficultés d'une recherche longue et difficile, et après beaucoup d'efforts elle est parvenue à un résultat qui, à juger par ses travaux, présente une ressemblance frappante avec l'encauste ancienne. Ainsi, la série de la " Comedia del arte " (encauste sur bois), le dramatique " Chemin de Croix ", actuellement en l'église de Quibou (Manche), œuvre des architectes Henri Tougard et Cochepain, et les travaux exécutés à Paris dans l'église de Marie Médiatrice, œuvre de l'architecte Henri Vidal, récemment disparu.

Un curieux rapprochement peut se faire notamment entre les anciennes peintures à l'encauste, traitées au cestre et " La Bacchante ", encauste marbre d'Helen Mai, ou les traces de fer sont évidentes. Détail secondaire, mais tout de même digne d'intéret; cette peinture résiste aux lavages et aux brossages à l'eau et au savon.

Quoique Helen Mai n'ait pas révélé jusqu'ici le secret de sa technique, son œuvre servira sans doute à réveiller l'intéret du public et des artistes pour l'art perdu de l'encauste.

Article publié dans Le Courrier de l'UNESCO, Janvier 1956 (9ème année)

 

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